Knives & Scars

Chapter 2 : Derrière la porte

Lorsqu'on est seul, on a la maîtrise de sa propre existence. Personne ne peut vous empêcher de faire les choses, personne n'est là à vous attendre. Et vous n'attendez rien de personne. Vous êtes la seule raison de vos blessures, la seule raison de votre solitude. Il n'y a que par vos efforts que vous vous en sortez et si ce n'est pas le cas, vous êtes la cause de votre désespoir.
Du moins, c'est ce qu'il pensait.


Cette nuit-là, il faisait très froid.
La ville s'obscurcissait sans en finir dans sa dépression, l'énergie se faisait de plus en plus rare et les plombs sautaient sans prévenir, les lumières s'affaiblissaient tout comme l'âme des gens.
Les visages vides erraient, sans but ni volonté. La pluie incessante tombait et créaient des flaques dont l'eau commençait à mouiller le fond de ses chaussures.

22:23. Il n'était toujours pas là.

Quelque chose était-il arrivé ?

Confus et solitaire, en grinçant des dents, Shirotan s'abrita devant la devanture d'un salon de tatouage. Une odeur d'encens émanait du lieu, quand la porte s'ouvrit, il se retrouva nez à nez avec un gars habillé en noir, à la peau olive et les yeux très clairs.
" - Yo." Il a sorti une clope de derrière son oreille et l'a mise en bouche.
Shirotan le salua timidement en baissant la tête, mal à l'aise, regardant ses chaussures qui étaient maintenant bien trempées. Ses cheveux dégoulinaient eux aussi, il était frigorifié et il fallait attendre que la pluie se calme.
La personne qui est sortie fumait sa longue clope et Shirotan se senti traversé par son regard perçant, il devait se demander qu'est-ce qu'un individu comme lui viendrait faire ici, dans ce quartier, à cette heure-ci. Les magasins ainsi ne devraient pas être fermés à cette heure-ci ? Les lois semblent ignorées dans ce quartier de toute façon...
Une odeur d'herbe forte le fit éternuer.
Shirotan grelotait.
"- Ça va ? Est-ce que tu veux entrer ?"
"- N-non, ne vous en faites pas... Ça ira..."
"- Tu sembles trempé jusqu'à l'os, je m'en voudrais de ne pas aider un chaton mourrant."
Un chaton ? "- J'attends juste que la pluie cesse, hé mais-"
Il lui a agrippé le bras, jeté sa clope et l'a tiré vers lui en le couvrant de sa veste. Ensuite il s'est dirigé vers la porte et l'a fait entrer dans le shop. La porte s'est refermée dans un claquement singulier.

Le salon était grand, plutôt sombre mais chaleureux. Autour d'une table basse, se trouvait deux filles avec un look totalement opposé. L'une avec des cheveux noirs avec des épis et des mèches dans tous les sens, l'autre avec une coupe soignée et pleins de rubans et dentelles dans les cheveux. Elles les ont quasi ignorés du regard, semblant trop occupées par leur discussion et le grand gars le tira vers la salle arrière.
Une grande pièce dont les murs, du sol au plafond étaient entièrement recouverts de peintures, tableaux, ébauches, oeuvres et objets.
Un coin aménagé en autel pour les divinités et les morts était décoré avec des figurines, des photos dans des cadres, de l'encens, des bénédictions, et même une coupelle de fruits.
Le grand gars a ouvert un casier et tendit un essui vers le garçon trempé.
"- Appelle moi Mika. Je suis propriétaire de cet endroit. Tu viens quand tu veux ici. Enlève tes chaussures. "
Impressionné par cet espace, il obéit, retira ses chaussures et sa veste qu'il plaça dans un coin, il attrapa l'essui et le posa sur ses cheveux trempés tout en observant avec curiosité l'ensemble des éléments qui constituait cette pièce. C'était bien la première fois qu'il découvrait l'intérieur d'un salon de tatouage. Intrigué par toutes ces attentions, son regard se observait tous les détails de cette boutique.
"- On fait des piercings aussi. De toute sorte, sur tout le corps. On a un artiste un peu spécial qui propose des services plus hard, mais je ne sais pas si ça t'intéresse. Tu veux essayer ?" Il ouvra un frigo et lui tendit une bière.
"- Merci."
ur les étagères, était posée une déco vraiment particulière, avec des cadres d'insectes, des crânes, des encensoirs, des objets en métal, plein de petites choses,... Aligné sur un étage plus bas, une rangée de machines à tatouer, il supposa. Toutes différentes.
Mais ce qui le marqua le plus, c'était les dessins accrochés au dessus de la table et de l'espace de travail, chacun d’entre eux était si précis, et si propre. Représentants des sujets traditionnels d'une part, tel que des fleurs, des insectes, des masques, des dragons, des créatures organiques, des compositions d'éléments, mais aussi, de l'abstrait plus brutal, des éclaboussures, des textures au pinceau, des tâches qui formaient des ornements logiques au corps. L'alcool lui monta un peu à la tête. Il se senti étrangement bouleversé par ce qu'il s'offrait devant lui, l'immensité de son univers, l'anéantissait. Il était fasciné par son art.
Pendant longtemps Shirotan a refoulé cette passion de s'exprimer pour suivre un cursus plus conforme, parce que l'art, aussi touchant qu'il puisse être, était un chemin sinueux et instable, d'après ce qu'il pensait. En réalité, Shirotan a toujours aimé dessiner. Des personnages principalement. Quand il était plus jeune et que son père était encore en vie, il lui achetait des mangas et il lui disait qu'il voulait devenir mangaka quand il deviendra plus grand. Mais à sa mort, il a décidé d'étudier la médecine. Il n'acceptait pas de se sentir impuissant face à l'injustice de la vie. Il ne supportait pas l'idée d'être inutile à la société. Et pourtant... Il senti que malgré tous ces efforts, la réalité frappante : il n'est personne.
"- Tout va bien ?" a-t-il dit en le sortant de ses tourments, se penchant sur lui d'un oeil interrogatif.
Sa présence était rassurante et il avait un charme irrésistible, dans le même genre que son dealer. Il se leva et en titubant en chaussette, il se diriga vers un cadre dont le dessin l'interpellait. C'était un motif symétrique, le même qu'il a pu entre apercevoir sur le torse de son dealer. En dessous une toute petite signature et une écriture manuscrite à l'encre rouge disait " à mon ami, K. ".
Sans aucun doute, ils se connaissaient.
Il a relevé la tête et voyant que Mika observait, il a dit :
"- Tu as l'oeil d'un véritable observateur, dis-donc. Tu ne parles pas beaucoup, mais tu vois les choses. Les détails que les autres, en général, passent à côté."
"- Qui est K. ?"
"- Un vieil ami. Kuroge. On a grandit ensemble. Mais nos chemins ont divergés quand il a voulu gagner son argent de sa propre manière. Il passe de temps en temps pour pratiquer ses services, mais il semble préoccupé ses derniers temps. Je pense qu'il prend trop."
Kuroge... C'est donc ça son vrai prénom ? Une impression... D'avoir déjà entendu cette sonorité. Oui, ça lui revenait maintenant. Ça ne l'étonnait pas qu'il utilise un pseudonyme pour son service de rue, mais savoir qu'il connait cet endroit l'a rendu... Un peu plus serein.
"- Viens par ici, je vais te montrer."
Il l'a suivi dans un couloir, et il a ouvert une porte qui donne sur une petite salle blanche, propre, clinique.
Des outils de découpes, des ciseaux, scalpels, des pinces et des couteaux étaient posés sur un plateau. Des chaînes et attaches en métal étaient accrochées au mur. Une tringle d'accessoires en latex, une quinzaine, au moins, pendait près d'un casier fermé à clé.
Une odeur d'alcool émanait de cette pièce.
Un frisson parcouru tout son corps.
"- C'est ici qu'il travaille, quand il se fait pas tatouer par mes soins bien sûr, haha !"
Il éteignit la lumière et passa de l'autre côté. Ils sont retournés dans la première salle où ils sont entrés, avec les deux filles sur le canapé. L'une chevauchait l'autre et quand ils sont apparus devant elles, la plus petite en taille s'est violemment détachée pour se rassoir droite, l'autre fille a rit bruyamment et s'est redressée aussi. Elle s'est levée d'un coup, à prit son sac à dos et a lâché :
"- Bon on y va, boss."
Elle avait un style à la Nana, cheveux coupés de façon aléatoire à la punk, à la fois grande et très fine, des cicatrices sur les mains, et un regard un peu méprisant. Sa copine s'est levée aussi et s'est inclinée pour leur dire au revoir. Elle était blonde, habillée d'une robe brodée de dentelles comme une poupée jusqu'au bout de ses ongles.
"- Au revoir."
Elles sont parties, et la porte à de nouveau claqué.
Il se retrouva seul à seul avec Mika qui était passé derrière le comptoir transparent en verre dans lequel un étalage immense de bijoux, boucles d'oreilles et piercings étaient alignés.
"- Si tu veux... Je peux t'offrir ces boucles d'oreilles. En guise de bienvenue."
Il lui a tendu une boîte en velours noir.
"- Je... Ne peux pas accepter. Et je n'ai pas les oreilles percées."
"- On peut y remédier. Ça t'intéresse ?"
Ses joues brûlantes par l'alcool, il a hésité un instant, avant de dire :
"- Pourquoi pas... ?"
La curiosité était trop importante pour ne pas être attiré par l'expérience. Conscient que la décision appartient au client, et à la confiance qu'il porte à la personne qui pratique, bien que le hasard l'a porté jusqu'ici, il n'avait pas vraiment de raisons de refuser. Il savait que les piercings aux oreilles ne laissent pas de marques trop visibles si on les retire, alors pourquoi pas ? Poussé par la curiosité, il voulait savoir pourquoi les gens sont attirés par cette pratique. Pourquoi les gens aime cette douleur. Et est-ce que lui aussi, serait-il capable de supporter ça ? D'aimer ça ?

"- D'accord, alors. Si tu veux passer à l'arrière boutique, signe ici. Lis bien, ça c'est la fiche de soins. Prends ton temps."

Froideur métallique

Il le fit s'asseoir sur un tabouret, la tête droite. Après s'être lavé les mains, il enfila une paire de gants en latex noir et approcha une lampe. Il sortit un marqueur mauve et traça un point sur chaque oreille. Il prit du recul en se mettant bien face à lui, de ce point de vue, Shiro remarqua qu'il avait trois grains de beauté en enfilade sur sa joue droite.
Mika s'est reculé, a pris un coton sur son plan de travail et l'a imbibé d'alcool. Il l'a frotté devant et derrière l'oreille. Ensuite il a sorti l'aiguille de son emballage stérile. Et s'est retourné, le visage confiant, vers le garçon timide.
"- Inspire fort."
Inspiration. Il s'approcha. Le coeur de Shirotan battait très fort, comme un enfant qui allait se faire gronder.
Un pincement aigu au niveau du lobe, métallique. Il recula, prit la boucle d'argent et l'inséra dans le trou fraîchement percé.
C'était court. Vif. Précis. Efficace.
"- On passe de l'autre côté ?"
Il hocha la tête en croisant son regard bleu perçant. Il passa de l'autre côté et désinfecta l'avant et l'arrière de son lobe.
Il se retourna face à son plan de travail et prépara l'aiguille.
" - Inspire."
Il obéit. Et l'aiguille traversa sa chair. Des fines particules d'étoiles monta dans sa tête en troublant légèrement sa vue.
L'espace sensoriel semblait se dissoudre dans la chimie de son propre organisme. Des déformations auditives voilait l'univers quand lequel il se trouvait.
"- C'est fini."
À ses mots, le retour à la réalité, ground zero. Au centre de la pièce, assit sur cette chaise. Les mains transpirantes. Un picotement de brûlure désinfectée au niveau de la plaie, et sous ses oreilles une sensation de froid glacial traversait ses lobes, des deux côtés.
Un miroir était tendu vers lui et il observa son visage, un peu gêné, avec deux anneaux discrets qui ornaient symétriquement et étincelait à la lumière de la salle clinique.

***

Lorsqu'il rentra chez lui, il ne pleuvait plus.
Ses vêtements étaient humides et sa lourde masse semblait être tirée vers le sol, il se changea en laissant tomber ses fringues mouillées au sol. Il avait chaud et froid en même temps. Sa tête allait exploser.
En ne prenant même pas le temps d'allumer la lumière, il se laissa tomber sur son lit, en regardant le plafond sombre.
Absence de pensées. D’émotions. De formes.
Il ferma les yeux un instant.
Solitude viscérale. Battement de coeur qui résonne dans le crâne.
Impossible de tourner la tête sur le côté dûe aux piercings, il roula sur le côté et placard son bras sous sa tête, et sombra dans le sommeil.

***

Le jour qui précède le jeudi, heureusement pour lui, Shirotan n'avait pas cours. Il était libre de rester dans son lit et penser.
Penser, penser, penser.
Penser à tout, penser à rien.
Décider de se prendre la tête, ou au contraire, passer outre ses problèmes.
Choisir de décider. Ou de ne rien faire du tout.
Ayant toujours été coincé entre le fait de trouver sa place, ou de croire en l'absence d'être. D'agir, ou de laisser tomber. Percevoir tous les points de vues des différentes perspectives pour ne pas trop déranger. Mais cette manière d'être et de penser a rendu complexe la prise de sa propre position en tant qu'humain dans cet univers.

Être heureux en arrêtant de penser ? Ou vivre malheureux en étant conscient de tout le mal ?
Sans doute, la vie n'est pas faite de noir ou de blanc, et il existe de multiples moyens de gérer correctement sa vie. Cependant, être conscient de l'injustice du monde et analyser en tentant de le comprendre, est accablant et désespérant. Mais d'une part, au sens radical de ce chaos, se joint l'harmonie pour créer un équilibre.
Il suffisait juste de viser bon, pour rester en vie de manière modeste.

En général, les humains se développent de manière conforme et similaire,
mais il arrive parfois que certains humains dévient de la norme.

Que se passe-t-il à ce moment-là ?

***

[Chapter 2 : Derrière la porte]

Lorsqu'on est seul, on a la maîtrise de sa propre existence. Personne ne peut vous empêcher de faire les choses, personne n'est là à vous attendre. Et vous n'attendez rien de personne. Vous êtes la seule raison de vos blessures, la seule raison de votre solitude. Il n'y a que par vos efforts que vous vous en sortez et si ce n'est pas le cas, vous êtes la cause de votre désespoir.
Du moins, c'est ce qu'il pensait.


Cette nuit-là, il faisait très froid.
La ville s'obscurcissait sans en finir dans sa dépression, l'énergie se faisait de plus en plus rare et les plombs sautaient sans prévenir, les lumières s'affaiblissaient tout comme l'âme des gens.
Les visages vides erraient, sans but ni volonté. La pluie incessante tombait et créait des flaques dont l'eau commençait à mouiller le fond de ses chaussures.

22:23. Il n'était toujours pas là.

Quelque chose était anormal.

Confus et solitaire, en grinçant des dents, Shirotan s'abrita devant la devanture d'un salon de tatouage. Une odeur d'encens émanait du lieu, quand la porte s'ouvrit, il se retrouva nez à nez avec un gars habillé en noir, à la peau olive et les yeux très clairs.
" - Yo." Il a sorti une clope de derrière son oreille et l'a mise en bouche.
Shirotan le salua timidement en baissant la tête, mal à l'aise, regardant ses chaussures qui étaient maintenant bien trempées. Ses cheveux dégoulinaient eux aussi, il était frigorifié et il fallait attendre que la pluie se calme.
La personne qui est sortie fumait sa longue clope et Shirotan se senti traversé par son regard perçant, il devait se demander qu'est-ce qu'un individu comme lui viendrait faire ici, dans ce quartier, à cette heure-ci. Les magasins ainsi ne devraient pas être fermés à cette heure-ci ? Les lois semblent ignorées dans ce quartier de toute façon...
Une odeur d'herbe forte le fit éternuer.
Shirotan grelotait.
"- Ça va ? Est-ce que tu veux entrer ?"
"- N-non, ne vous en faites pas... Ça ira..."
"- Tu sembles trempé jusqu'à l'os, je m'en voudrais de ne pas aider un chaton mourrant."
Un chaton ? "- J'attends juste que la pluie cesse, hé mais-"
Il lui a agrippé le bras, jeté sa clope et l'a tiré vers lui en le couvrant de sa veste. Ensuite il s'est dirigé vers la porte et l'a fait entrer dans le shop. La porte s'est refermée dans un claquement singulier.

Le salon était grand, plutôt sombre mais chaleureux. Autour d'une table basse, se trouvait deux filles avec un look totalement opposé. L'une avec des cheveux noirs avec des épis et des mèches dans tous les sens, l'autre avec une coupe soignée et pleins de rubans et dentelles dans les cheveux. Elles les ont quasi ignorés du regard, semblant trop occupées par leur discussion et le grand gars le tira vers la salle arrière.
Une grande pièce dont les murs, du sol au plafond étaient entièrement recouverts de peintures, tableaux, ébauches, oeuvres et objets.
Un coin aménagé en autel pour les divinités et les morts était décoré avec des figurines, des photos dans des cadres, de l'encens, des bénédictions, et même une coupelle de fruits.
Le grand gars a ouvert un casier et tendit un essui vers le garçon trempé.
"- Appelle moi Mika. Je suis propriétaire de cet endroit. Tu viens quand tu veux ici. Enlève tes chaussures. "
Impressionné par cet espace, il obéit, retira ses chaussures et sa veste qu'il plaça dans un coin, il attrapa l'essui et le posa sur ses cheveux trempés tout en observant avec curiosité l'ensemble des éléments qui constituait cette pièce. C'était bien la première fois qu'il découvrait l'intérieur d'un salon de tatouage. Intrigué par toutes ces attentions, son regard se observait tous les détails de cette boutique.
"- On fait des piercings aussi. De toute sorte, sur tout le corps. On a un artiste un peu spécial qui propose des services plus hard, mais je ne sais pas si ça t'intéresse. Tu veux essayer ?" Il ouvra un frigo et lui tendit une bière.
"- Merci."
ur les étagères, était posée une déco vraiment particulière, avec des cadres d'insectes, des crânes, des encensoirs, des objets en métal, plein de petites choses,... Aligné sur un étage plus bas, une rangée de machines à tatouer, il supposa. Toutes différentes.
Mais ce qui le marqua le plus, c'était les dessins accrochés au dessus de la table et de l'espace de travail, chacun d’entre eux était si précis, et si propre. Représentants des sujets traditionnels d'une part, tel que des fleurs, des insectes, des masques, des dragons, des créatures organiques, des compositions d'éléments, mais aussi, de l'abstrait plus brutal, des éclaboussures, des textures au pinceau, des tâches qui formaient des ornements logiques au corps.

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L'alcool lui monta un peu à la tête. Il se senti étrangement bouleversé par ce qu'il s'offrait devant lui, l'immensité de son univers, l'anéantissait. Il était fasciné par son art.
Pendant longtemps Shirotan a refoulé cette passion de s'exprimer pour suivre un cursus plus conforme, parce que l'art, aussi touchant qu'il puisse être, était un chemin sinueux et instable, d'après ce qu'il pensait. En réalité, Shirotan a toujours aimé dessiner. Des personnages principalement. Quand il était plus jeune et que son père était encore en vie, il lui achetait des mangas et il lui disait qu'il voulait devenir mangaka quand il deviendra plus grand. Mais à sa mort, il a décidé d'étudier la médecine. Il n'acceptait pas de se sentir impuissant face à l'injustice de la vie. Il ne supportait pas l'idée d'être inutile à la société. Et pourtant... Il senti que malgré tous ces efforts, la réalité frappante : il n'est personne.
"- Tout va bien ?" a-t-il dit en le sortant de ses tourments, se penchant sur lui d'un oeil interrogatif.
Sa présence était rassurante et il avait un charme irrésistible, dans le même genre que son dealer. Il se leva et en titubant en chaussette, il se diriga vers un cadre dont le dessin l'interpellait. C'était un motif symétrique, le même qu'il a pu entre apercevoir sur le torse de son dealer. En dessous une toute petite signature et une écriture manuscrite à l'encre rouge disait " à mon ami, K. ".
Sans aucun doute, ils se connaissaient.
Il a relevé la tête et voyant que Mika observait, il a dit :
"- Tu as l'oeil d'un véritable observateur, dis-donc. Tu ne parles pas beaucoup, mais tu vois les choses. Les détails que les autres, en général, passent à côté."
"- Qui est K. ?"
"- Un vieil ami. Kuroge. On a grandit ensemble. Mais nos chemins ont divergés quand il a voulu gagner son argent de sa propre manière. Il passe de temps en temps pour pratiquer ses services, mais il semble préoccupé ses derniers temps. Je pense qu'il prend trop."
Kuroge... C'est donc ça son vrai prénom ? Une impression... D'avoir déjà entendu cette sonorité. Oui, ça lui revenait maintenant. Ça ne l'étonnait pas qu'il utilise un pseudonyme pour son service de rue, mais savoir qu'il connait cet endroit l'a rendu... Un peu plus serein.
"- Viens par ici, je vais te montrer."
Il l'a suivi dans un couloir, et il a ouvert une porte qui donne sur une petite salle blanche, propre, clinique.
Des outils de découpes, des ciseaux, scalpels, des pinces et des couteaux étaient posés sur un plateau. Des chaînes et attaches en métal étaient accrochées au mur. Une tringle d'accessoires en latex, une quinzaine, au moins, pendait près d'un casier fermé à clé.
Une odeur d'alcool émanait de cette pièce.
Un frisson parcouru tout son corps.
"- C'est ici qu'il travaille, quand il se fait pas tatouer par mes soins bien sûr, haha !"
Il éteignit la lumière et passa de l'autre côté. Ils sont retournés dans la première salle où ils sont entrés, avec les deux filles sur le canapé. L'une chevauchait l'autre et quand ils sont apparus devant elles, la plus petite en taille s'est violemment détachée pour se rassoir droite, l'autre fille a rit bruyamment et s'est redressée aussi. Elle s'est levée d'un coup, à prit son sac à dos et a lâché :
"- Bon on y va, boss."
Elle avait un style à la Nana, cheveux coupés de façon aléatoire à la punk, à la fois grande et très fine, des cicatrices sur les bras, et un regard un peu méprisant. Sa copine s'est levée aussi et s'est inclinée pour leur dire au revoir. Elle était blonde, habillée d'une robe brodée de dentelles comme une poupée jusqu'au bout de ses ongles.
"- Au revoir."
Elles sont parties, et la porte à de nouveau claqué.
Il se retrouva seul à seul avec Mika qui était passé derrière le comptoir transparent en verre dans lequel un étalage immense de bijoux, boucles d'oreilles et piercings étaient alignés.
"- Si tu veux... Je peux t'offrir ces boucles d'oreilles. En guise de bienvenue."
Il lui a tendu une boîte en velours noir.
"- Je... Ne peux pas accepter. Et je n'ai pas les oreilles percées."
"- On peut y remédier. Ça t'intéresse ?"
Ses joues brûlantes par l'alcool, il a hésité un instant, avant de dire :
"- Pourquoi pas... ?"
La curiosité était trop importante pour ne pas être attiré par l'expérience. Conscient que la décision appartient au client, et à la confiance qu'il porte à la personne qui pratique, bien que le hasard l'a porté jusqu'ici, il n'avait pas vraiment de raisons de refuser. Il savait que les piercings aux oreilles ne laissent pas de marques trop visibles si on les retire, alors pourquoi pas ? Poussé par la curiosité, il voulait savoir pourquoi les gens sont attirés par cette pratique. Pourquoi les gens aime cette douleur. Et est-ce que lui aussi, serait-il capable de supporter ça ? D'aimer ça ?

"- D'accord, alors. Si tu veux passer à l'arrière boutique, signe ici. Lis bien, ça c'est la fiche de soins. Prends ton temps."

[Froideur métallique]


Il le fit s'asseoir sur un tabouret, la tête droite. Après s'être lavé les mains, il enfila une paire de gants en latex noir et approcha une lampe. Il sortit un marqueur mauve et traça un point sur chaque oreille. Il prit du recul en se mettant bien face à lui, de ce point de vue, Shiro remarqua qu'il avait trois grains de beauté en enfilade sur sa joue droite.
Mika s'est reculé, a pris un coton sur son plan de travail et l'a imbibé d'alcool. Il l'a frotté devant et derrière l'oreille. Ensuite il a sorti l'aiguille de son emballage stérile. Et s'est retourné, le visage confiant, vers le garçon timide.
"- Inspire fort."
Inspiration. Il s'approcha. Le coeur de Shirotan battait très fort, comme un enfant qui allait se faire gronder.
Un pincement aigu au niveau du lobe, métallique. Il recula, prit la boucle d'argent et l'inséra dans le trou fraîchement percé.
C'était court. Vif. Précis. Efficace.
"- On passe de l'autre côté ?"
Il hocha la tête en croisant son regard bleu perçant. Il passa de l'autre côté et désinfecta l'avant et l'arrière de son lobe.
Il se retourna face à son plan de travail et prépara l'aiguille.
" - Inspire."
Il obéit. Et l'aiguille traversa sa chair. Des fines particules d'étoiles monta dans sa tête en troublant légèrement sa vue.
L'espace sensoriel semblait se dissoudre dans la chimie de son propre organisme. Des déformations auditives voilait l'univers quand lequel il se trouvait.
"- C'est fini."
À ses mots, le retour à la réalité, ground zero. Au centre de la pièce, assit sur cette chaise. Les mains transpirantes. Un picotement de brûlure désinfectée au niveau de la plaie, et sous ses oreilles une sensation de froid glacial traversait ses lobes, des deux côtés.
Un miroir était tendu vers lui et il observa son visage, un peu gêné, avec deux anneaux discrets qui ornaient symétriquement et étincelait à la lumière de la salle clinique.

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Lorsqu'il rentra chez lui, il ne pleuvait plus.
Ses vêtements étaient humides et sa lourde masse semblait être tirée vers le sol, il se changea en laissant tomber ses fringues mouillées au sol. Il avait chaud et froid en même temps. Sa tête allait exploser.
En ne prenant même pas le temps d'allumer la lumière, il se laissa tomber sur son lit, en regardant le plafond sombre.
Absence de pensées. D’émotions. De formes.
Il ferma les yeux un instant.
Solitude viscérale. Battement de coeur qui résonne dans le crâne.
Impossible de tourner la tête sur le côté dûe aux piercings, il roula sur le côté et placard son bras sous sa tête, et sombra dans le sommeil.

***

Le jour qui précède le jeudi, heureusement pour lui, Shirotan n'avait pas cours. Il était libre de rester dans son lit et penser.
Penser, penser, penser.
Penser à tout, penser à rien.
Décider de se prendre la tête, ou au contraire, passer outre ses problèmes.
Choisir de décider. Ou de ne rien faire du tout.
Ayant toujours été coincé entre le fait de trouver sa place, ou de croire en l'absence d'être. D'agir, ou de laisser tomber. Percevoir tous les points de vues des différentes perspectives pour ne pas trop déranger. Mais cette manière d'être et de penser a rendu complexe la prise de sa propre position en tant qu'humain dans cet univers.

Être heureux en arrêtant de penser ? Ou vivre malheureux en étant conscient de tout le mal ?
Sans doute, la vie n'est pas faite de noir ou de blanc, et il existe de multiples moyens de gérer correctement sa vie. Cependant, être conscient de l'injustice du monde et analyser en tentant de le comprendre, est accablant et désespérant. Mais d'une part, au sens radical de ce chaos, se joint l'harmonie pour créer un équilibre.
Il suffisait juste de viser bon, pour rester en vie de manière modeste.

En général, les humains se développent de manière conforme et similaire,
mais il arrive parfois que certains humains dévient de la norme.

Que se passe-t-il à ce moment-là ?

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