[Chapter 5 : Soirée d'octobre]
"La première fois que j'ai rencontré Kuroge hors de nos échanges nocturnes, c'était une à soirée d'octobre.
Mika m'avait invité à une soirée pour fêter le jour des morts. Il organisait une fête dans son salon et il a bien insisté sur le fait que c'était une soirée sur le thème d'Halloween et qu'il fallait venir déguisé.
Je me retrouvais donc dans la rue, avec un costume de chantier jaune et noir, j'incarnais l'image de mon défunt père.
En me rendant à la gare, je regardais mon reflet dans le miroir, mes cernes étaient mauves, creuses et mon visage semblait vraiment fatigué dans le reflet de la fenêtre du train.
Un groupe de jeunes gothiques écoutaient de la musique à un volume élevé dans le train et guettaient les allées et venues du contrôleur de wagon.
Une fois descendu au centre de la ville, je marchais avec mes écouteurs enfoncés dans les oreilles vers le quartier bas. L'air était humide et de la brume commençait à monter dans l'atmosphère. Le ciel était couleur orange, gris, la lune et le soleil se cachaient derrière les volutes de nuages violets, un crépuscule d'automne qui rappelait les morts.
Ce soir-là, la ville étaient plutôt animée. Des gens déguisés riaient fort, des enfants maquillés tenant un panier de bonbons, les punks toujours à la même place qui s'amusaient avec des poches de faux-sangs. Rien n'avait changé, et tout semblait être différent.
Arrivé à l'entrée du salon, les vitres étaient embuées, et l'intérieur semblait grouiller de monde. J'attendais là, devant, sans arriver à me décider de pousser la porte ou de faire demi-tour. Lorsque la porte s'ouvrit et quelqu'un sorti. C'était la fille au cheveux noirs coupés à l'arrache avec ses tatouages sur les mains, et son air méprisant. Elle portait un top sans manche, des bas résilles noirs, et une multitudes de colliers ; en me voyant elle ouvrit grand les yeux et me salua.
"- Oh, toi. Salut."
"- Salut."
"- Tu cherches Mika ? Tu veux entrer ?"
"- Pas vraiment."
Elle tenait la porte d'une main, passa la tête à l'intérieur et cria d'une voix féroce qui dépassait mes attentes en décibels en voyant sa silhouette si fragile et fine.
Mika se précipita à la porte, les joues rougies, habillé en costume noir, d'une veste longue, une chemise à jabot rouge vin, les cheveux impeccables et une broche couleur or en forme de " V ".
"- Oh bonsoir Shirotan, tu es venu ! Mais regarde donc toi ! Ton costume est adorable ! Qu'est-ce ? Es-tu déguisé en abeille ?"
"- Non, je suis mort dans un accident, en fait"
"- Oh, très bien, très bien. Je t'en prie ! Sers-toi donc un verre !" Il me tira à l'intérieur et en se retournant, me fit un clin d'oeil.
Le salon était rempli de monde. Tous déguisés, intimement rassemblés dans l'espace que j'avais connu vide. La chaleur dégagée par ses corps faisait battre mon coeur très fort dans ma poitrine et une bouffée de chaleur me monta à la tête.
Mika me tira par la main vers le bar. Autour de moi, les gens parlaient, fumaient, tenaient des verres, étaient tous maquillés ou élégamment habillés. C'était surprenant de voir autant de gens passionnés rassemblés.
Mika se glissa derrière le bar et me proposa un verre de champagne. Que je saisis poliment. Il fut intercepté dans la discussion d'un homme très grand, encore plus grand que lui, et son attention se détourna de ma présence. Je me retourna et en prenant une gorgée, je regardais la foule. De la musique. Des lumières mauves, bleues, roses qui changeaient sur le rythme. Un bpm rapide. Des caissons de basses.
Rien de tout ce dont j'avais l'habitude de voir ou d'entendre.
Je me concentrais au mieux sur le fait de rester calme.
Mon regard croisa celui d'un jeune homme à lunettes, adossé contre le mur, les bras croisés. Il me fixa un instant. Puis se redressa et se dirigea vers le bar où Mika semblait occupé.
J'écoulais mon verre dans la gorge, et me déplaça vers le comptoir pour le déposer. Devant moi, une ombre aux épaules larges me rentra dedans ; je failli presque perdre l'équilibre. Je leva la tête.
"- Excusez-moi, faites attention, je suis une pute aveugle."
Un garçon les yeux et le corps bandés par des bandages de gaze blancs se tenait devant moi, une mèche de cheveux tombait sur son oeil gauche. C'était... Kuroge.
Il portait un top noir et court, son ventre et son dos étaient dénudés. À sa ceinture, il avait plusieurs poches noires de différentes tailles et portait un pantalon moulant avec un corset lacé. Son exubérance était singulière et pourtant il semblait être bien à sa place, ici.
"- Bon j'en ai marre de toutes ces lumières, je suis épileptique, vous savez. Je sors fumer. Tu veux venir ?"
J'ignorai si il me parlait à moi, où si il parlait tout seul, mais je l'accompagna dehors.
Quand la porte s'ouvrit, le froid et le silence de la nuit contrastait avec l'atmosphère intérieure. La porte se referma avec son claquement aigu habituel.
L'air était glacé, et humide. Kuroge me tendit son paquet de clopes avec une clope sortie. Des Marlboro, comme mon père.
Je la pris. Il en sorti une à son tour et la tira avec la bouche, rangeant son paquet dans sa poche. Le cliquement singulier d'un briquet alluma l'extrémité de sa cigarette cachée derrière sa main bandée jusqu'aux doigts. Il me passa le briquet.
"- Et donc, t'es déguisé en quoi, au juste ?"
"- Un ouvrier de chantier, mort dans un accident. C'est une allégorie du décès de mon père. Il était peintre et architecte. Il s'est suicidé."
"- Ah. Pas cool."
"- M'ouais. C'était pas vraiment un bon père. Un peu comme tous les hommes qui prétendent pouvoir élever un enfant, ils finissent par l'abandonner, au final."
"- Bah écoute, moi je suis orphelin. J'ai pas connu mes parents, car j'ai été abandonné dans une consigne à la gare, hahah. Tu veux savoir un truc sur moi ? Peut-être que tu le sais déjà, mais je pense être complètement fou. Pas que ce terme me protège ou m'exempt de mes paroles ou de mes actes. Car je sais que chaque action possède une conséquence irréversible. La folie coûte chère, la folie vit en toi. La folie devient le monstre qui te dévore.
Parfois, c'est plus simple de se dire que face à l'injustice de ce monde, face à la cruauté, tu peux la combattre, tu peux foncer dedans et y perdre ta vie. Car la vie, ne tient qu'à un fil, et la mort c'est juste la fin."
J'ai continué à le regarder, ne sachant pas quoi dire. De la cendre brûlante est tombée sur mon doigt, surpris, je sursauta et poussa un cri aigu sans le vouloir.
Interpellé par le choc, il prit ma main dans la sienne, elle était glaciale. Il caressa gentiment la brûlure tout en continuant à fumer. Je ne pouvais voir l'expression de ses yeux."